La chasse aux géants
« Par une belle nuit de printemps, un Jeune tout frais tout neuf se préparait à naître dans la forêt enchantée. Tous les marmousets de la forêt l’attendaient avec impatience, la naissance d’un Jeune étant un grand événement, puisque les marmousets de la forêt vivaient éternellement.
Or, dans l’ombre, l’avaleur de lumière, le grand général de l’armée des géants, celui qu’on appelait Ténèbres, se léchait les babines. « Un Jeune tout frais tout neuf … miam, miam ! » Il fallait s’en emparer ; vivement, préparer l’armée pour l’assaut, et lui donner une bonne frousse dès son premier souffle de vie terrestre. Ce Jeune devait connaître le véritable visage du surnaturel.
Ténèbres se faisait un devoir de semer la terreur dans la forêt enchantée, puisqu’il était le plus grand. C’est d’ailleurs pourquoi on l’avait nommé général. En fait, Ténèbres était si grand qu’il était impossible de l’anéantir. Avec Ténèbres aux environs, on ne voyait rien venir, on ne distinguait plus les formes, le danger était partout!
Pourtant, malgré toute sa puissance et sa grandeur, Ténèbres ne faisait rien seul. C’est tout le temps plus désopilant de faire le trouble en gagne. Surtout avec un Jeune tout frais tout neuf, incapable de se défendre. Alors, le gigantesque et redoutable Ténèbres travaillait en équipe avec Invisible, son fidèle bras droit, réputé pour être impalpable et imprévisible, représentant digne de l’immense, du minuscule, et du néant.
Donc, le général et son acolyte avaient manigancé des stratégies perverses pour gâcher la future vie du Jeune. Lorsqu’ils furent prêts, ils envoyèrent en éclaireur, leur vilain farceur, un escogriffe dénommé Peur, pour préparer le terrain.
Parlons un peu de Peur. Une vraie tache ! C’était, de toute évidence, un géant dangereux, mais pas forcément méchant. Il lui arrivait même de se laisser apprivoiser ; mais ça, ce n’était pas gagné d’avance. Tous les Jeunes de la forêt enchantée avaient goûté à ses mauvais tours.
Bon… En cette belle nuit de printemps, Peur était à son poste, guettant l’arrivée du Jeune tout frais tout neuf, avec toutes sortes d’idées tordues dans sa tête.
Le Jeune naquit enfin à l’aurore, et Peur se lança immédiatement à ses trousses avec l’intention de lui coller la trouille au derrière, tout le long de son existence, s’il le fallait, son but étant d’amener le Jeune à faire face à ses faiblesses et ses incapacités.
C’était bien parti. On avait affaire à un Jeune froussard, qui se laissa facilement embobiner. Le grand général des géants s’assura que ses gros trolls pas très jolis, messieurs les Doute, Effroi, Fuite, Crainte, Hésitation, et Mensonge, se tiennent prêts à intervenir en cas de difficultés, car un Jeune qui pousse peureux avait bien meilleur goût qu’un Jeune qui pousse heureux.
Un jour, le Jeune qui poussait peureux céda aux mauvaises blagues de Peur et des gros trolls pas très jolis, puis l’escogriffe en profita pour lui saper tout son potentiel. Alors, le Jeune cessa complètement de pousser heureux et Peur pris le contrôle. La victime fut jetée dans un trou sans fond où Invisible l’attendait en se faisant craquer les jointures, tout fin prêt à démantibuler sa nature impressionnable et sa sensibilité, pour ensuite le livrer cru et chaud au général Ténèbres.
Le Jeune était fait comme un rat ! Dans les abîmes de Ténèbres, il inventa l’enfer, et d’affreux diables en sortirent pour terroriser tous les marmousets de la forêt enchantée. Ainsi furent engendrés Violence, Égoïsme, Domination, Vanité et Colère : de terribles géants.
Or, un bon matin, le Jeune en eu assez d’être un peureux. Il fallait sortir du trou sans fond. Hélas, il ne savait pas comment faire et se débattait dans le vide, s’agrippait au néant, dérapait dans le noir, s’enlisait, s’enfonçait, ressortait pour respirer et criait : NOOOOOON ! JE VEUX POUSSER HEUREUX !
Tout à coup, une main attrapa la sienne, et un flambeau s’alluma lui permettant d’avancer dans le noir. Mais qui venait à son secours ? « Mon nom est Amour et je suis le gentil géant. » Quoi ? Un gentil géant ? Le Jeune avait de la misère à le croire ! Mais, c’était bien vrai. Le plus beau et le plus gentil des géants venait l’aider à s’en sortir.
Amour raconta au Jeune qu’il faisait partie de l’armée du général et qu’il travaillait en équipe avec Peur, Invisible, et tous les autres. Il lui raconta qu’il avait toujours été tout près. Le Jeune fut bien surpris, et demanda au gentil géant pourquoi il ne s’était pas montré avant. «Tu n’étais pas prêt à me rencontrer. Tu n’aurais rien vu. » Le jeune compris, à cet instant, que ce géant représentait l’acte de foi, l’abandon à la vie, la confiance en Invisible et ses possibilités. Contre Ténèbres, il devenait lumière. Contre Doute, il était la confiance. Contre Colère, il apportait l’apaisement, contre Peur, il était courage ; le beau temps après la pluie, la promesse du plein après le vide
Ainsi le Jeune pu enfin avancer dans la vie, apprenant comment pousser heureux, avec une armée de géants guidant ses pas, tous nécessaires à son évolution et à son harmonie personnelle, formant une équipe inséparable. Quand il eut compris le but de leur mission, il ne songea plus à les terrasser, car le Jeune, face à ses faiblesses, avait découvert ses capacités.
Peur s’est alors laissé apprivoiser.
Dans la forêt enchantée, les marmousets et les géants vivaient côte à côte pendant toute une éternité; or, c’était au marmouset de décider qui allait dominer. Peureux ou heureux ? »
Jano
Accueil 